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    PAROLES DE GISANTE

     

     

     « Vous qui lorgnez de haut nos corps roides et froids,

    Nos mains dévotement jointes sur une croix,

    Nos fronts muets étreints dans l’étau des couronnes

    Et nos bliauts sculptés en longs plis monotones,

    Sous les carcans de pierre, entendrez-vous les cœurs

    Battre l’ardent rappel de fièvres, de fureurs ?

    Savez-vous que je fus duchesse et deux fois reine ?

    Que j’osai soulever ma rancœur souveraine

    Contre l’époux qui dort à présent près de moi, 

    Pour voir périr aussi mon fils, tout juste roi,

    Puis ma bru, vaine veuve aux entrailles stériles ?

    Voyez-nous reposer côte à côte, tranquilles,

    En paix dans le tombeau comme jamais vivants,

    Quand notre orgueil jetait ses cris aux quatre vents !

    Ne sommes-nous vraiment qu’un dur poids de Carrare

    Étendu sous la voûte où le songe s’égare ?

    Ou notre âme parfois vient-elle obscurément

    Verser à notre ennui son doux chuchotement,

    Sous l’éternel regard qui de partout peut-être,

    Du vitrail, de l’ogive ou des tréfonds de l’Être,

    Voit comme une fragile et frivole entité

    Ceux qui sont en ce monde et ceux qui l’ont quitté,

    Nous, spectres cuirassés de roc incorruptible,

    Et vous, passants d’un jour que le temps prend pour cible ? 

    Votre pas qui s’éteint, qu’emporte-t-il d’ici ?

    Un souvenir bientôt recouvert d’un souci,

    Confuse image au bord d’une vague pensée,

    Étincelle dans l’ombre à l’instant effacée…

    Vous oublierez, nous dormirons encore un peu,

    Sans émois, sans soupirs, sans tendresse et sans feu,

    Puis nous disparaîtrons quand on verra la pierre,

    Marbre même et granit, se résoudre en poussière."

      

      

     

      

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    LE JARDIN DÉLAISSÉ

      

      

      

    Du sol sec cent fois rebattu,

    Entre le chiendent et la mousse,

    Obstiné, le narcisse pousse

    Et flamboie à fleur que veux-tu;

     

    L'ancolie et la primevère,

    En sauvageonnes sans façons,

    Aux allées comme au vieux gazon,

    Prodiguent leur graine légère;

     

    L'iris foisonne; du lilas

    Les drageons lutinent les branches;

    Le rosier pimprenelle épanche

    Le fouillis de ses falbalas:

     

    Ô jardin que la main délaisse,

    Paradis perdu sans fracas,

    Fruste éden qui ne songes qu'à

    Fleurir et refleurir sans cesse,

     

    Ô frère naïf de ce Mont

    Où la Muse oubliée sommeille,

    En rêvant qu'un Orphée réveille

    Les rythmes purs que nous aimons!

     

     

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                                    VIEILLIR

     

    Soudain le temps a rétréci ;

    Nous n’irons plus jamais ensemble

    Frayer les sentiers sans souci

    Où nos pas s’inventaient un amble.

     

    Plus jamais la vie en nos corps

    N’épanouira la merveille

    D’un être neuf, dont le décor

    De notre avenir s’ensoleille.

     

    Plus jamais nous ne dormirons

    Sans peur d’une aube désastreuse,

    Ni n’effacerons de nos fronts

    Les rides que l’angoisse y creuse.

     

    Le temps emporte, amis, amours,

    Vos chants, vos rires, vos caresses,

    Et peut-être viendront des jours

    Où j’en  oublierai la tendresse.

     

    Mais vous serez, amours, amis,

    Dans les trous noirs de ma mémoire,

    L’envers généreux du semis

    Qui grain par grain brode une histoire.

     

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       NOCTURNE

     

     

      

    La nuit est douce:

    parlez-moi doucement;

    parlez de rien, de tout,

    de vous quand vous étiez enfant,

    de tout le temps que nous n'avons pas vu

    et que nous ne verrons jamais ensemble,

    de la peine inconnue qui nous attend,

    de l'absence et du vide à venir.

     

    La nuit est claire:

    parlez-moi de la voix tranquille

    qu'on réserve à l'ami de longue date;

    choisissez à loisir les mots,

    laissez prendre forme sans hâte

    les phrases que j'écouterais sans crainte,

    sans vains efforts de politesse pour répondre.

     

    La nuit est sereine et profonde:

    parlez aussi longtemps que bon vous semble,

    ou, si vous aimez mieux

    poser votre silence auprès du mien,

    je vous écouterais vous taire,

    en priant Dieu

    que jamais cette nuit ne vît poindre sa fin!

      

      

     

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    MÉLANCOLIE DE PRINTEMPS

      

     

     

    Les matins sont plus clairs, le jour bleu fraternise

    Avec l’odeur de miel éparse au fil du vent ;

    Le chat, gourd de tiédeur, assoupi sous l’auvent,

    Laisse l’oiseau chanter comme en Terre Promise.

     

    L’insecte de soleil et de nectar se grise ;

    L’ombre est douce quand passe, au zénith dérivant,

    Un nuage égaré qui s’éloigne en rêvant

    - Peut-être - de pleurer ses embruns sur Venise.

     

    Le cœur vibre, aussi vif que les vols de pinsons

    Guettant sur les blés verts la blondeur des moissons,

    Mais aux larmes d’avril le voici qui frissonne :

     

    Tant de printemps déjà pour jamais révolus

    Et tant d’êtres chéris qu’on ne reverra plus !

    Est-ce un glas, blanc muguet, que ta clochette sonne ?

     

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